Né le 5 mars 1959 (il a donc 40 ans !) dans une ville de Kyushu, Tsukasa Hojo commence à dessiner à son entrée à l’université en 1977… Suivra une épopée animée que Maître Hojo nous relate dans cette interview de 1992 tirée du Tsukasa Hojo Illustration que vous possédez tous bien sûr. La traduction est de Ken Yasumoto et voilà élucidé rien que pour vous le mystère qui se cache derrière les “pattes de mouches” de la fin de l’Art-book.

Quand j’étais petit je ne voulais pas devenir Mangaka (dessinateur), c’était plutôt une excuse. Quand ma mère me disait “Travaille !” je lui répondais “. Mais c’est pas la peine puisque je serai un Mangaka plus tard.” (Il se marre) Lorsque je suis rentré au collège je me suis mis à lire des romans. Je ne regardais plus la télé et les dessins animés. J’allais souvent au cinéma, je préférais la science-fiction mais je m’intéressais à tout.

J’ai commencé à faire de la BD à cause d’un copain qui dessinait bien et qui lui, en faisait déjà, alors qu’on était en troisième. Il m’a beaucoup influencé, mais j’étais paresseux et ne terminais jamais rien- C’est au lycée que je me suis mis à écrire des histoires qui tenaient debout C’était des réalisations collec­tives. J’ai commencé à les dessiner et à les signer mais on a jamais terminé. C’est à ce moment que je me suis remis à regarder des DA et à lire des manga. Je ne lisais pas forcément des Shonen lump mais plutôt des manga comiques.

Je ne connaissais pas le prix Tezuka avant de l’avoir gagné !!

Quand je suis rentré à l’université, j’avais des copains qui faisaient un fan­zine. J’y ai participé mais là encore je n’ai rien fini. Le seul manga que j’ai fait en entier est celui qui a reçu le prix de BD Tezuka Osamu, ça s’appelait: Space Angel. J’ai fait cette BD pendant les va­cances d’été. Un soir après avoir terminé mon Arubaïto (petit job pratiqué par tous les jeunes au Japon). je n’avais rien à faire et j’ai fait cette BD. J’avais déjà fait 27 pages quand un ami m’a dit qu’il allait envoyer sa BD à ce concours Tezuka Je me suis dit que si je pouvais gagner quelque chose, je gagnerais un peu d’argent et j’ai donc travaillé pour terminer ma BD qui faisait en tout 31 pages. J’ai gagné le deuxième prix et j’ai profité de l’occasion pour faire une autre BD. Elle s’appelait ore wa Otoko da (Je suis un homme).

Je voulais dessiner plein de jolies filles

L’été de cette même année, j’ai fait une BD à partir d’un scénario original, une BD sur un policier mais ça n’a pas marché du tout J’en ai fait une autre à partir d’un texte du même auteur, tou­jours une histoire de policier. Un an après ce manga j’ai créé Cat’s Eye pour Jump. Cette idée des trois jeunes filles voleuses est venue d’une discussion avec des amis. En sortant de la fac, j’ai fait une petite fête chez moi avec des amis, et il y en a un qui a dit qu’il serait marrant de faire une histoire sur un couple dont la femme serait une voleuse et le mari un flic. C’est devenu trois jeunes filles parce que je voulais dessiner le plus de filles possibles. Une serait du style grande soeur (Rui). la deuxième une très belle fille (Hitomi) et la dernière du genre mignonne (Ai). Elles portent un body parce que c’est plus facile à dessiner…

J’ai envoyé le projet à Jump et ils m’ont rappelé pour que je vienne à Tokyo pour dessiner Cat’s Eye. J’ai passé quelques jours à Tokyo, je suis rentré à Kyushu et puis je me suis finalement installé à Tokyo. J’ai commencé à faire Cat’s Eye pour de bon mais comme je n’avais jamais véritablement dessiné de manga c’était terrible. Je pensais que l’équipe de Jump avait vraiment du courage d’engager un jeune qui en fait était débutant. Je ne dormais environ qu’une heure par jour. Quand je m’allon­geais et que je voyais en face de moi le robinet de gaz, je me disais qu’il serait plus simple que je l’ouvre pour en finir. C’était très très dur. Mais je ne pouvais pas laisser passer une chance pareille vu que je ne savais rien faire à part dessiner. Ce qui m’a marqué dans Cat’s Eye c’est que c’était une oeuvre vraiment très compliquée et c’est à cause de cette souffrance que j’ai supporté, que City Hunter est né.

C’était une oeuvre plus simple. En parlant avec plusieurs personnes on s’est dit que si on prenait la Souris de Cat’s Eye (Akira Kamiya A.K.A. Nezumi) et qu’on en faisait un héros ça pouvait être pas mal. Je pensais qu’il était intéressant de créer un détective qui sache tirer au pistolet. Pour constituer le personnage de Ryo, je pensais faire un type hyper obsédé au contraire des héros stoïques que l’on voit dans les romans Hard-Boiled qui restent calmes et sont vraiment très forts. Je voulais faire un héros complètement différent avec plein de points faibles.

Sinon, avec ce manga j’ai pensé qu’un homme libre souffrait énormément dès qu’il est avec une fille, Ryo est timide sérieux et à la fois peureux mais finalement ce n’est qu’un obsédé. C’est un Moccoli (terme japonais désignant un type qui bande). J’ai reçu des lettres de mères qui disaient que leur fils leur avait mis une main aux fesses en criant “Moccoli”. Ici encore ça va, chez moi c’est ma fille qui me fait ça. Le person­nage de Ryo est obsédé mais seulement par la parole, parce que c’est un manga destiné aux jeunes garçons. Si j’avais conçu ce personnage pour un magazine d’adolescent ça aurait été pire. Ryo est un personnage auquel je tiens beaucoup et que je trouve idéal. En général il ne sait pas quoi faire, c’est un mec pares­seux et qui ne fout tien. Pourtant dans les moments importants il réagit sérieusement. J’aimerais bien pouvoir vivre comme ce personnage mais finalement c’est très dur.

Ryo est pour moi un mec idéal

Le monde de City Hunter est un monde peuplé de filles canons. J’ai fait ça parce que je pense que c’est plus marrant de dessiner des filles canons. C’est parce qu’il y a des filles superbes que Ryo agit. Il a l’habitude de dire qu’il ne bosse que pour des super nanas mais en fait, il bosse pour n’importe quelle fille. C’est pour ça que malgré son côté obsédé il a du succès auprès des filles. Mais je pense que je vais commencer à dessiner autre chose parce que je dessine City Hunter depuis six ans.

Je reçois des lettres de fans qui me disent que Ryo n’est pas assez sensible. Après une case où Ryo a fait un gag, je mets toujours une case où Ryo est très sérieux, c’est pour marquer sa sensibili­té, mais peut être que les lecteurs ne s’en rendent pas compte. C’est comme pour le marteau de Kaori, c’est pour exprimer sa colère. Pourtant les lecteurs m’en­voient des lettres pour me demander d’où est ce qu’elle sort son marteau alors que c’est une métaphore.

Je n’ai pas l’impression de dessiner City Hunter, je crois plutôt que les per­sonnages bougent d’eux-mêmes et sont libres. Sans cela je n’aurais pas pu faire ce manga pendant six ans. En fait, je n’ai pas inventé le personnage de Ryo mais c est comme si j’avais rencontré cet homme. Les idées de mes histoires sont prises un peu partout. Par exemple, j’ai écrit une histoire dans laquelle un assassin se fait attraper grâce à l’air-bag de sa voiture. En fait c’est parce que je venais d’acheter une voiture avec ce système d’air-bag. C’est dans ces faits réels de la vie courante que j’arrive à trouver des idées pour mes histoires.

Je me dis qu’il serait temps que j’ar­rête de dessiner City Hunter. A chaque anniver­saire de City Hunter je fais une histoire spéciale qui pourrait être à chaque fois l’histoire finale. Il y a deux ans j’ai fait une histoire sur le passé de Ryo. L’année dernière j’ai fait une histoire sur un combat entre Umibozu et Ryo, on aurait pu penser que c’était la fin de City Hunter. C’est alors que j’ai reçu beaucoup de lettres de fans qui m’ont demandé si c’était vraiment la fin de City Hunter. Même l’équipe du DA m’a de­mandé si j’allais arrêter, puis finalement cette crise passe tous les ans.

Je rêve de faire une grand dessin animé

Dans mes histoires je fais en sorte qu’il y ait le moins de morts possibles. C’est peut être idéaliste mais je ne pense pas que le mal peut être combattu de cette façon. Je ne donne jamais de leçons au lecteur. Je ne lui dis jamais “l’amour c’est comme ça”, “les hommes doivent penser comme ça”. Le lecteur est libre de penser comme il veut. J’étais très content quand Cat’s Eye et City Hunter sont devenus des DA. J’adore le DA, quand j’étais à la fac j’en faisais un peu et j’avais réalisé des courts métrages. J’ai­merai bien à l’avenir pouvoir en réaliser moi-même. Je voudrais faire un DA dont la fin serait un happy end mais qui malgré tout laisserait un goût amer et un côté un peu triste. Si jamais j’en fais un, j’aimerais être sur place avec l’équipe. Je n’ai pas suffisamment de connaissances pour tout faire moi-même mais dans la limite de mes possibilités j’aimerais pouvoir travailler avec toute l’équipe. Je pourrais par exemple écrire le texte ori­ginal ou alors dessiner moi-même tous les personnages.

Le fait de dessiner n’a jamais été pour moi très amusant. Ce que j’aime le plus c’est, une fois que j’ai terminé l’his­toire, pouvoir me dire que j’ai progressé, que j’ai évolué par rapport à la dernière fois. Quand je me mets au boulot suivant, je me dis à chaque fois “non, je suis vrai­ment nul”. Il faut donc que je progresse et que je bosse encore plus. Je me dis que si je prenais plus de temps pour faire mes dessins j’aurais quelque chose de mieux, mais à chaque fois je n’ai pas le temps. Ma technique de dessin ne suit pas mes désirs c’est pour ça que je serais toujours aussi nul. Ça me donne envie dans mes manga de faire des cases plus grandes mais si je le fais, mon manga ne rentre pas dans le nombre de pages voulu. Le nombre de cases est donc assez impor­tant, c’est ce qui me tracasse dans un magazine, je ne peux pas peaufiner mes dessins.

Je dessine plus de culs de mecs que de femmes

Dans mes manga il y a toujours de belles femmes mais elles ne sont jamais nues. En fait, on y trouve plus de mecs nus que de femmes nues. Je pense qu’il y a peu de manga qui ont montré autant de culs de mecs. Pour dessiner une femme nue, il me faudrait une technique parfaite mais n’ayant pas cette technique je préfère ne pas le faire. Je pense qu’il va falloir que je progresse énormément pour pouvoir améliorer ma technique à l’avenir. Même si dessiner des manga est un métier très dur, comme c’est malgré tout un plaisir, je ne veux pas que ce coté dur, ce côté qui me fait souffrir, disparaisse. Je peux dessiner ce que je veux et ça va faire pas mal d’années que cette façon de dessiner me réussit: dessiner en m’amusant mais en même temps en soufrant. J’ai donc de la chance de pouvoir dessiner ce qui me plaît.

Parfois je me demande si ce n’est pas un rêve, puis je me réveille et je me dis que ce que je suis en train de faire est un manga que je signe et que des gens lisent en sachant que c’est Tsukasa Hojo qui l’a fait. Quand j’y pense ça me fait tout bizarre. Je me dis qu’il doit y avoir quel­qu’un qui dessine mes manga à ma place.

Pour finir j’aimerai remercier tous ceux qui ont acheté mes livres.

Traduction: Ken Yasumoto