Le Japon, le Japon, crévindiou c’est pas la porte à côté. Pourquoi aller chercher si loin ce qui se trouve sous nos pieds. En terme de richesse de culture, il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’au Japon pour trouver des légendes, des traditions, des rites, une gastronomie et une histoire. Nos bonnes cultures du terroir sont aussi complètes et intéressantes que celles de l’Asie. Evidemment, on ne peut dire que la culture française corresponde à ce profil, mais la Bretagne, la Corse, le Pays Basque, l’Alsace sont autant de régions chargées d’une histoire et d’une culture qui leur sont propres. Comme je n’ai pas pour vocation d’être un expert en cultures anciennes, je vous ferais seulement découvrir ma patrie natale, la Bretagne. Et pourquoi ne pas commencer gaiement et en musique ? Vous dansez ?…
Origines
A l’origine, le Fest-noz est une fête traditionnelle paysanne. Ne me demandez pas quand il est apparu car je n’en sais rien, tout ce que je me hasarderai à dire c’est qu’on le dansait déjà sans doute au XIVe siècle. Cela se faisait en petit comité, presque familial, excédant rarement les 100 personnes.
Eh oui, à l’époque y’avait pas de voitures, pas de micros, de sono, d’amplis, de salle polyvalente. Par contre ils étaient plus répandus et plus courants. On en organisait pour les mariages, les pardons, les foires, la Saint Jean, comme divertissement lorsqu’un fermier demandait de la main-d’œuvre pour les grands travaux ou les récoltes. Il y a même une danse, le plinn, qui servait à aplanir le sol des maisons neuves, qui étaient encore…en terre.
Les musiques
Pour mettre les danseurs en marche, il vous faut de la musique. On a souvent critiqué la musique bretonne comme quoi c’est répétitif, ringard et pas joli à écouter. Là dessus, je vais vous surprendre car je partage ce point de vue. Eh oui! Il est rare de voir quelqu’un se balader en écoutant de la musique bretonne sur son Discman, tout simplement parce que cette musique n’a été composée que dans le but de danser : le rythme, la longueur des couplets et refrains, sont limités par le type de danse mis en musique.
En fait c’est seulement en dansant que la force de la mélodie nous est révélée, c’est là que l’on est en phase avec la musique, que l’on fait corps avec elle, et que l’on peut l’apprécier dans toute sa plénitude. En fait je parle de musique, mais il y a deux types de musiciens dans les Fest-noz : Les sonneurs et les chanteurs.
Les sonneurs (sonnerien) sont des groupes qui vont de deux à sept personnes en moyenne. Il n’y a jamais de chanteurs (ou rarement) dans ces groupes. Seule la musique compte. Les instruments utilisés varient d’un groupe à l’autre. Il y a des instruments dits “traditionnels” comme l’accordéon diatonique, la bombarde, la flûte traversière, le biniou, la harpe (rare). Mais on voit aussi depuis une vingtaine d’années apparaître de nouveaux instruments tels la guitare, la basse, le violon… Toucela contribue à renouveler et diversifier les mélodies, et certaines musiques sont vraiment entraînantes et même appréciable actuellement.
A part les sonneurs, il y a aussi les chanteurs (kannerien). Souvent il s’agit d’un couple (mixte ou pas), quelque fois trois, mais rarement plus. Il est essentiel de réunir au moins deux personnes car les chansons bretonnes se basent sur le principe d’une sorte de dialogue ou d’écho entre deux chanteurs. C’est ce qu’on appelle le Kan ha Diskan, ou en français chant et contre-chant. Ces chants racontent souvent une histoire sympathique ou historique. Ainsi il y en a qui retracent la vie des goémoniers, un naufrage en mer, des histoires sur la guerre de 14-18,de 39-45, mais aussi des choses plus récentes comme l’arrêt du TGV à la gare de Plouaret (Sac’het eo bet, sac’het eo bet an TGV!). Sinon, la chanson s’articule classiquement en couplets autour d’un refrain. Les chanteurs entonnent le couplet l’un après l’autre, avant de passer au suivant. Cela leur permet de ne pas se casser la voie sur une chanson, de reprendre haleine, et ainsi la mélodie est moins monotone. Afin que les transitions s’effectuent en douceur, entre les deux chanteurs, le deuxième accompagne son collègue sur les deux dernières syllabes. Du coup cela évite d’avoir une chanson hachée.
Pour finir sachez qu’il existe aussi des Bagad, vous les avez sans doute déjà vus, il s’agit d’un cortège de 20 à 50 musiciens composés de binious, bombardes, tambours et quelques autres instruments, mais du fait de cette structure, on ne les voit jamais dans les Fest-noz. Ils jouent pour des marches, des processions, des manifestations, des exhibitions, des concours.
En fait je vous ai un peu menti, tout à l’heure, car il existe bien de la musique bretonne à valeur uniquement mélodieuse. Ce sont des groupes comme Tri Yann, Dan ar braz, Mathmatah, Manau, Alan Stivell, qui on su faire connaître la mélodie celtique à travers le monde. Mais souvent il leur a fallut abandonner le breton pour les textes, adapter, modifier quelques concepts pour que cela soit “vendable”.
Les danses
Dans un Fest-noz, c’est le cœur de la fête, l’endroit où tout le monde se réunit pour suer un petit peu, se détendre, bouger quoi. Contrairement aux idées reçues, il y a énormément de danses différentes en Bretagne. En plus de ça, selon le département où vous êtes, vous ne danserez pas sur la même chose (en fait c’est même plus compliqué que ça). C’est pourquoi je vous laisserais les découvrir par vous-même. On peut quand même distinguer plusieurs types de danses : les danses à deux, les danses en ligne et les danses en cercle.
Les danses à deux sont rares dans le répertoire breton, c’est pourquoi des danses traditionnelles d’autres régions ont été importées, parmi quoi on retrouve la valse, la polka, et la scottish (qui vient probablement d’Ecosse). Ces trois danses sont jouées à un rythme rapide, ce qui occasionne, quand le nombre de danseurs est trop conséquent, une partie d’auto-tamponneuse assez fun. On se bourre dedans en couple, mais on rigole bien. Les danses en ligne sont tout aussi exceptionnelles, je n’en connaît que deux, mais leur origine n’est pas bretonne: il y a tout d’abord la bourée, ou les danseurs se font face et viennent se toucher l’épaule au centre du couloir ainsi formé. Et il y a aussi le cercle circassien (je sais ce que vous allez me dire, mais la danse en ligne est une variante assez sympa de la danse originale…en cercle).
Enfin le gros morceaux des danses est constitué par les cercles, particularité bretonne extrêmement connue. Selon le type de danse, on trouve là encore des cercles différents, les cercles simples bien sûr, mais aussi les suites: c’est un ensemble de trois danses, chacune ayant sa spécificité: la première, ton simpl (ton simple), correspond au titre de la suite annoncée (une gavotte par exemple) et peut également se danser séparément des deux autres.
La deuxième, tamm kreizh (morceau du milieu), constitue une pause entre les deux danses, on marche pendant les couplets et on effectue un pas de danse pendant le refrain (c’est là qu’on peut faire le “tourniquet” vu dans TITANIC™).
Enfin on attaque la dernière danse, sans transition, comme tout le monde est bien rodé. Le ton doubl (ton double) est impitoyable, il reprend les mêmes pas que la première danse mais dure généralement deux fois plus longtemps. Cela oblige souvent les danseurs à faire une petite pause après la suite. A cela s’ajoute quelques variantes dont la plus courante consiste à rompre le cercle. Fait logique: si vous dansez en cercle et qu’il y a de plus en plus de monde, l’espace vide au centre va augmenter proportionnellement et poser des problèmes de place. La solution consiste à rompre le cercle, qui se transforme alors en chaîne, avec un meneur chargé de conduire habilement son petit train sur l’aire de danse. Les itinéraires les plus fous sont alors permis.
Fest noz, mode d’emploi
Avant toute chose, sachez que le terme Festoù-noz que vous avez probablement entendu déjà est incorrect. En effet il correspond au pluriel de Fest-noz en breton. Malheureusement, en français, il est utilisé indifféremment au singulier comme au pluriel. Donc forcément c’est faux un coup sur deux. Le même problème se pose pour les mots latin: des stimulus? non, des stimuli, italiens: scénario/ scénarii etc… La solution la plus simple consiste à prendre le singulier du mot étranger et à le franciser. Ainsi personne ne vous tapera dessus et vous aurez un joli: “des Fest-noz”.
Le principe de base des Fest-noz est d’être itinérant, ce qui permet de varier les lieux, mais aussi les distances: des fois on va au Fest-noz à 50 m de chez soi, et des fois on y va à 50 km. Par contre, le prix reste souvent le même, actuellement autour de 35-40 F. Le Fest-noz se pratique en salle l’hiver, et en plein air l’été, ce qui est quand même vachement mieux, surtout pour les non fumeurs.
Les Fest-deiz sont l’équivalent diurne du Fest-noz, les rythmes sont souvent moins endiablés que le soir, et des animations complémentaires sont souvent proposées, comme des jeux, des spectacles.
Mais venons en au fait, organisons un Fest-noz virtuel sur notre feuille de chou, qu’est-ce qui s’y passe ? c’est simple. Il est environ 22h, vous arrivez sur le parking de la salle omnisport. Vous vous garez tranquillement, il n’y a pas encore trop de monde. A l’entrée on vous fait payer, pas de problème jusque là, mais avant d’atteindre la salle, il faut passer devant cet homme là qui brandit son tampon dégoulinant d’encre. Il vous demande de présenter votre poignet et vous marque de son instrument, comme si vous étiez du bétail. Pourquoi tant de haine ? Simple, il s’agit de votre sésame qui vous permet d’entrer et de sortir à votre gré. Méthode simple, pratique et efficace donc bretonne. Vous voilà maintenant dans l’antre, vous vous laissez guider par la musique, mais voilà, il commence à faire chaud. Pas de problème, les porte-manteaux sont gratuits. De toute façon dans quelques temps il y aura des vêtements partout. Ben oui, les vols dans les Fest-noz relevant du fait exceptionnel et extraordinaire, on peut disséminer ses vêtements un peu partout et avoir 99,9% de chance de les retrouver intact.
Ca y est, après tant d’efforts d’imaginations, vous voilà enfin dans la salle virtuelle du Fest-noz de Lost Eden. Devant vous, la scène où se produit le premier groupe. Au centre l’aire de danse, pas encore très encombrée, elle va bientôt déborder de danseurs. Et sur un côté se trouve la buvette. On ne peut pas appeler ça un bar, l’alcool le plus fort servi étant de la bière (cela diminue d’autant le nombre d’hommes complètement torchés). De plus les prix sont raisonnables.
Mais pour le moment, vous n’avez pas soif, courageusement vous vous avancez sur l’aire de danse pour rejoindre les danssurs. Ils sont immobiles tandis que seul l’accordéon résonne dans la salle. C’est le galv, l’appel aux danseurs. Vous vous placez en bout de chaîne ou dans le cercle, vous demandez poliment à deux danseurs si vous pouvez vous insérer. Il n’est pas nécessaire de trouver un garçon/ une fille en alternance, la mixité n’est pas requise, même dans les danses à deux (sauf cas particuliers). La danse commence et vous vous apercevez que vous ne connaissez pas cette danse. Arrrg! Vous essayez de vous en sortir tant bien que mal en imitant la personne en face de vous. Zut! c’est l’inverse, comme la personne est en face de vous, la gauche et la droite sont inversés.
Mieux vaut suivre le danseur à côté de vous. Ouf! Ça commence à venir, non, déconcentré, il faut tout recommencer. Tiens la musique s’arrête, dommage, c’était presque parfait. Après toutes ces émotions, se désaltérer ne fera pas de mal. Tiens il y a plus de monde et il commence à faire chaud. Il est vraiment temps de sortir se rafraîchir un peu et admirer les étoiles. La soirée a vraiment débuté et ne se terminera pour les plus courageux que vers 4-5 heures du mat’. Ca va pas être de la tarte d’apprendre toutes les danses, mais le groupe qui recommence à jouer est votre préféré, pas d’hésitations, vous rentrez à l’intérieur prêt à relever d’autres défis. Bon Fest-noz…
Qui a dit ringard?
Ouais c’est vrai ça pour qui ils se prennent tous ces gros nazes qui se moquent toujours de tout ce qu’ils ne comprennent pas. Non! le Fest-noz n’est pas un concurrent des discothèques, l’état d’esprit est différent dans les deux cas. Le but recherché n’est pas le même. En boite, on vient seul ou en groupe d’amis, souvent au même endroit. A l’intérieur il fait noir, la lumière des spots est étourdissante, la musique assourdissante. Les mecs boivent des whisky-coca et draguent. Les filles se remaquillent et dansent. Tout le monde joue à être celui qu’il n’est pas durant la semaine. Ici, le mot d’ordre est de s’éclater, par tous les moyens et dans tous les sens. A tel point qu’on a l’impression d’avoir rêvé, le lendemain.
Dans les Fest-noz, rien de tout cela, on y vient en famille, chacun se répartissant dans son endroit privilégié: l’enfant au dehors s’amuse et profite de la nuit pour faire mille et une bêtise. L’adolescent va danser. Bien sûr le/la petit(e) blond(e) là-bas est intéressant(e) mais ce n’est pas l’objectif principal ce soir. La mère va converser avec ses amies des aléas de la vie, tandis que le père rejoint hâtivement son point de ravitaillement: la buvette. La salle est très éclairée, la musique n’est pas trop forte, personne n’est sur son 31, bref une ambiance bonne enfant qui contente le plus grand nombre et qui ne laissera dans les têtes qu’un très bon souvenir, une bonne manière de conclure une semaine bien remplie.
Bref, j’espère que vous aurez compris qu’on va au Fest-noz ou en boite, selon l’état d’esprit où l’on se trouve. Les deux ne sont pas opposés, mais plutôt complémentaires. Du moment que les partisans des deux partis l’on compris, il n’y a pas de raisons d’en faire toute une histoire. Alors Kenavo!